Le respect de mon cheval

Vaste sujet que l’on retrouve souvent de façon simplifiée, et même caricaturale, dans la culture et le  langage humain. Et dans le langage des hommes concernant leurs animaux domestiqués, en particulier, dans un sens déformé et unilatéral, souvent, comme s’ils nous le devaient, mais que ce devoir n’était pas réciproque.

D’abord et pour rester dans le domaine de l’humain, on peut s’interroger sur ce qu’est le respect. Un sentiment? Quelque chose entre l’amour et la crainte? Mais je peux craindre quelqu’un de plus fort (un dictateur mieux armé, par exemple) et ne pas l’aimer, ni le respecter pour autant. Ou s’agit-il d’une attitude surtout mentale, mais qui peut s’exprimer dans mon comportement, consistant à reconnaître à une personne une valeur ou une compétence que je n’ai pas ou que je n’avais pas et qui lui donne ou lui donnait un certain ascendant sur moi. Dans un domaine donné (éducation, formation professionnelle), j’ai pu reconnaître l’ascendance de cette personne, sans l’aimer pour autant, et peux lui garder cette reconnaissance, alors même que je ne suis plus sous sa dépendance et que mes compétences sont devenues égales ou supérieures aux siennes dans ce domaine.

Un autre aspect du respect est son caractère circonstanciel de réciprocité: je n’ai aucune tendance à respecter quelqu’un qui ne me respecte pas, même si, temporairement, je suis contraint à la soumission. D’autre part, je peux respecter quelqu’un et, cependant, ne pas être d’accord avec lui et ne pas me soumettre à ses attentes: je respecte et j’aime mes parents, mais j’ai quand même pris mon indépendance de leurs attentes éducatives et de leurs aspirations pour moi.

Peut-être est-ce, d’une façon plus générale, une valeur sociale, une règle de vie commune tendant à une certaine paix relationnelle avec les autres, même inconnus, consistant en une reconnaissance a priori de leur valeur d’être vivant et déclinée sous de multiples formes: on ne pousse pas les aînés dans l’escalier pour les faire mourir plus vite et qu’ils nous laissent la place, les emplois et leur héritage. On ne martyrise pas les enfants quand on les croise sous prétexte qu’ils dérangent notre tranquillité. On ne viole pas les femmes sous prétexte qu’elles sont physiquement plus faibles que nous (voire!). En tout cas, on ne devrait pas. De cette valeur de paix sociale, on attend aussi un bénéfice à notre égard, par réciprocité.

De cette brève réflexion humaine, qu’en déduire du respect de nous attendons de nos animaux et de nos chevaux en particulier? Seraient-ils capables d’un tel raisonnement et d’une telle reconnaissance? Et d’ailleurs, serait-elle justifiée? Notre intrusion dans leur monde naturel et notre tendance largement démontrée à les soumettre à nos propres aspirations, sans nous occuper des leurs, nous méritent-elles vraiment cette reconnaissance? Et où serait la réciprocité?

Outre que ça paraît largement dépasser leurs capacités intellectuelles et philosophiques, il semble donc que cette notion de respect de leur part à notre égard soit un anthropomorphisme de plus, complètement hors de leur réalité. Par contre, leur tolérance à notre intrusion et leur capacité à s’y adapter et à apprendre de nous des actions et des codes qui ne leur sont en rien naturels leur méritent bien la nôtre. Et notre supposée sagesse ne devrait en attendre aucune réciprocité.

Pour autant, si nous voulons continuer à vivre, travailler, jouer, nous valoriser et frimer avec eux, il nous faut sans doute, pour notre sécurité et la leur, et dans le respect de ce qu’ils sont, leur apprendre (ça n’a rien de naturel) un certain nombre de comportements qui soient compatibles avec cette vie ensemble: Ne me marche pas dessus, ne me mords pas, ne me boxe pas.

Dans cette vie ensemble, chercher une relation où ils gagnent autant que nous. Faute de quoi, non seulement nous ne les respectons pas, mais nous les mettons dans l’impossibilité de répondre à nos attentes et d’y gagner quelque chose, ce qui aboutit immanquablement aux troubles de santé, à l’extinction de toute recherche de solutions (dont celle qui nous conviendrait) ou à la rétivité, dans une relation conflictuelle où leur  force risque de prendre le dessus sur notre volonté, jusqu’au moment où notre frustration aura le dessus sur leur vie. Raté pour une vie éthique avec eux!

Bien! Peut-être, sûrement même, vais-je pourtant, dans la vie courante, continuer à parler du « respect » que j’attends de mon cheval, en omettant d’évoquer celui qu’il m’inspire. Mais, il ne s’agit plus de ma part d’une croyance anthropomorphique, dont je me soigne. Seulement d’une simplification et d’un abus de langage, faute d’avoir trouvé,  jusqu’à maintenant, un terme plus réaliste et concis. « Bienveillance » par ex me paraît tout aussi anthropomorphique. Et l’empathie inter-espèces, à défaut d’une intelligence commune, existe-t-elle vraiment? Si oui, qu’a-t-elle d’inné (de naturel, instinctif, que l’on pourrait attendre d’un animal sauvage) ou d’acquis (résultant d’un apprivoisement et d’une éducation)?

Je reste à l’écoute de vos propositions. Tchao.

 

Parler à son cheval. Ou non.

Vous (pas mon truc) pouvez câliner votre cheval en le traitant de « bébé d’amour » et en lui faisant des bisous sur le nez, je peux faire des commentaires sur mon travail et le sien, je peux me « foutre de sa gueule » en le traitant de « trouillard » parce qu’il a fait un écart pour une branche qui a bougé à proximité, je peux aussi revenir de balade en lui demandant de « ranger sa selle, de se faire les ongles, de répondre au téléphone et de me verser une tasse de café ».

Dans ces paroles très anthropomorphiques, je me heurte au double mur, que je ne suis pas près de franchir, de son incapacité intellectuelle à seulement comprendre ce que je lui ai dit et de son incapacité physique à l’effectuer. D’ailleurs, quand, énervé par un de ses refus à traverser un obstacle (qu’il aurait sans doute franchi sans problème si je ne lui avais pas mal demandé), je transforme ma frustration en une (fausse, rassurez-vous) menace de place réservée pour lui dans mon congélateur, je ne le vois jamais se mettre à trembler comme une feuille ni me supplier à genoux de lui épargner un avenir aussi peu attractif.

De tout cela, le cheval n’a rien compris et n’a strictement rien à faire. Vous pouvez aussi bien lui réciter du Verlaine ou l’annuaire du téléphone. Ce n’est que du bruit à côté de lui, nettement moins intéressant que le bruit du vent, du chien qui aboie ou de ses congénères qui se déplacent dans le paddock d’à côté.

Pour autant, vais-je arrêter de parler tout seul quand je suis avec lui? Sans doute pas. J’évite de le faire lors d’une balade collective, pour ne pas limiter les autres cavaliers dans leur plongée dans la nature. Mais la mienne me pousse à le faire régulièrement lors de mes sorties solitaires. Et jamais mon cheval ne m’a manifesté de moindre inconfort du fait de cette manie de vieux garçon.

En même temps, si j’intercale dans ces discours, qui n’ont de sens que pour moi, des vocalises ou des bruits (claquements de langue, sifflements particuliers, « Whoo ») qui, par éducation, sont un code sonore mis en place pour une demande apprise, il réagit immédiatement. Donc il fait le tri dans le brouhaha ambiant d’un son qui a du sens pour lui et qui lui est adressé.  C’est une remarquable capacité de discrimination auditive, dont je ne suis souvent pas capable moi-même, et qui me laisse admiratif, d’autant qu’il ne réagit presque jamais, si ce code est émis par un compagnon de balade à l’intention de son propre cheval. Sûrement du fait de l’attitude corporelle associée. Mais drôlement futée quand même, la bestiole!

Alors, parler ou ne pas parler à son cheval? C’est comme vous voulez! Mais soyez conscients de la vraie valeur de ce que vous faites et de l’interlocuteur réel de votre discours, votre cheval ou vous-même. Les deux sont permis. Pas partout, cependant: certains clubs à l’esprit très militarisé sont encore très restrictifs sur ce sujet. Mais je ne les fréquente pas. Pas assez cool pour moi. Tchao.